Page:NRF 13.djvu/274

Cette page n’a pas encore été corrigée

266 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Les moineaux se réveillent dans leurs nids sous les volets qu'on ne ferme jamais ; mes murs sont bourrés de leurs cris. Le train de Montauban est passé ; tu l'as entendu siffler ; c'est que le vent vient de l'est, c'est qu'il est 4 h. 11 et qu'il fera beau.

Je me hâte de t'écrire ce que j'ai oublié: je suis allé dans ton pays. On m'a confisqué à la douane, à Alexandrovo, un jeu de cartes espagnoles, un Bœdeker d'Italie, mais on m'a laissé passer. J'ai vu Pétersbourg, Moscou ; j'ai vu, dans le hall de mon hôtel, une petite fille russe assise au pied de l'aquariimi où nageaient les sterlets, comme je lui souriais, passer derrière et me faire à travers l'eau vive toutes les grimaces des sirènes. J'ai vu Kiev, j'habitais le palais Potemkine, en stuc rouge, crème et or : je télépho- nais souvent dans un cabinet vert-pomme et jaune situé sous le grand escalier; quand je sortais, la porte froissait les feuilles d'un palmier, c'était le bruit d'ime robe de soie qui tombe, et il y avait en effet, toujours j'eus la même surprise, une statue de Diane devant moi. J'ai vu des mou- jicks, ils riaient et, dans chacun de leurs deux yeux mon image dansait sur un petit bûcher. J'ai vu ton été russe, le ciel si bleu, la verdure immense supportée par de grands fûts gantés de cuir blanc ; mille chevaux aimables à double poitrail, lustrés et bondissants, semblables à des femmes. Dans la mer Noire (la nuit si bleue) j'ai voyagé sur le croiseur Askold, qui avait deux fois contourné le monde et à chaque escale acheté une tortue, petite ou gigantesque. Elles habitaient le pont, et dans les tempêtes on les entendait rouler d'un bord à l'autre. Te rappelles-tu la vitrine de Kissling, que nous avions aménagée et que nous appelions le Musée Franco-Russe, où nous

�� �