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250 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

auto. A travers les jardins royaux et les places semées de palais grecs, byzantins, florentins, qui semblaient, eux aussi, déguisés pour la nuit, nous rentrions sous ces masques que nous dictait je ne sais quel indéfinissable contraste; toi en pâtre suisse et moi en Bettina Brentano ; toi en Agamem- non et moi en bouc de Goya ; ou, simple échange, toi en Russe et moi enBreton ; chacun agrippé à l'arme ou au bâton de l'autre, et nous avions tous les silences, tous les attache- ments et les éloignements subits que peuvent avoir entre eux des gens qui se tiennent par des épées ou par des thyrses. Des mandolines résonnaient au loin, étouffées, car il gelait et les musiciens pour rentrer avaient mis leurs gants. Quand la sentinelle du duc Cari Théodor avait le pantalon noir des Prussiens, nous criions : Vive la Ba- vière, et nous nous sauvions, enjambant les tuyaux d'arrosage en soulevant nos manteaux et nos traînes, comme des dames...

Ou bien tu parlais, avec tes mots français si purs. Je te prenais le bras, car on ne pense jamais mieux à toi que si l'on te prend et te serre. Je me disais que douce est la certitude de posséder un ami qui, devant la mort, devant le mal, devant un supplice honteux, se plaindrait dans un langage noble, ne pourrait appeler à son secours que les dieux honnêtes, les hommes honnêtes. Jamais un juron dans ton langage ; tu donnais je ne sais quel honneur aux noms propres et c'est depuis toi qu'ils me laissent dans la bouche leur sens ancien, comme un noyau. Aussi je ne m'étonnais pas de te voir inspirer tant de confidences ; moi, je n'avais pas de pensées secrètes, mais tous mes mouve- ments secrets arrivaient près de toi à ma surface. Si souvent quand j'entrais dans ta chambre, un visiteur

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