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242 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que j'aimais, pour me donner à Mitzi... Pauvre Mitzi!.,. Ton infirmière repart. A tout à l'heure.

Mon cher Pavel,

Te rappelles-tu comme je t'enviais, à chaque fête, de partir pour Lucerne? Tu rapportais d'ailleurs de la Suisse tout ce que les autres rapportent de la mer, des coquil- lages, des étoiles sèches, des bérets de marin, et une fois une perle vraie pour ma cravate. Te rappelles-tu, pendant la guerre japonaise, quand tu restas trois mois sans rece- voir d'argent de poche ni de lettres, et que tu écrivis un programme des dix grandes aventures de ta vie, racon- tant chacune pour dix sous et la vendant écrite pour un mark? J'achetai «Premier Aiguillage », où ta nourrice te perd à la gare de Berlin et où tu es retrouvé sous la locomotive, criant à cause de la chaleur. Je désirais « Pre- mier ébat du cœur », mais tu le donnas à Borel. J'ai toujours cru — tu disais non — que tu avais une préférence pour Borel. Avoue-la aujourd'hui. Je peux te dire maintenant qu'il te volait. Il passait la main sous le volant de ton casier, le soulevant à peine, et puisait à ton chocolat. Sans mesure : dans une seule étude, il vola dix tablettes et il allait les manger loin de toi : c'était sa seule pudeur. Je m'assis à la dixième sur le casier ; je sentis son poignet craquer. Il ne poussa pas un cri et je n'osai le dénoncer...

Que de progrès tu as fait en français! Tu n'as pas encore employé une seule fois le nom des saisons. Te rap- pelles-tu que tu parlais d'elles si souvent, c'était ton seul vocabulaire, que le père Kissling te forçait à

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