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NUIT A CHATEAUROUX 237

valise était égarée, et toute la première semaine de notre amitié, il porta mes vêtements du dimanche... Déjà l'Américain, voyant ma joie, dégrafait comme une noiirrice son sein gauche et en dégageait un stylo... J'écrivis donc au-dessous des deux lignes, avec la même encre, et ma phrase en paraissait ime traduction :

— Viens vite. Je ne peux bouger. Depuis seize ans sans nouvelles de toi, car tu n'as jamais répondu à ma carte de Besançon... quelle joie de te voir!

L'adjudant mon voisin m'expliqua l'Amérique. Elle est le contraire de la France. L'hôpital avait des infirmières jusqu'à minuit : l'annexe américaine des infirmiers ; à partir de minuit, des infirmiers : l'annexe, des infirmières. On s'y reposait le samedi et les hommes s'y promenaient tout nus, leur serviette à toilette autour du cou. On y demandait aux entrants, non point, comme aux Français, au cas où ils mourraient, le nom de celui qu'ils aiment le plus, mais le nom de celui qu'ils aiment le moins, pour qu'il pût avec sang-froid prévenir tous les autres.

Pavel Dolgorouki à seize ans ! Je revoyais, toute ronde et comme si elle était seule, sa tête... L'impression que donne une main blanche sortant du vêtement, chez lui sa têtela donnait. Toujours d'ailleurs il tournait cette tête vers ce qu'il y avait de clarté dans la pièce ou dans le jardin, vers la lampe ou vers le soleil, d'un mouvement lent et sincère, comme s'il arrivait à une vérité et non à la lu- mière ; s'il avait parfois à choisir entre deux lampes, deux rayons, on pouvait être sûr, quand il s'installait sous l'un d'eux, que celui-là était le plus fort ; je ne vois son visage que miroitant et de plusieurs couleurs ; grâce à lui il n'est pas une nuance du jaune au rouge que je n'aie vue

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