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NUIT A CHATEAUROUX 229

mois où un lieutenant italien avait pu conduire, de Mo- dane au front de l'Aisne, Lina Pellegrini déguisée en matelot. Il avait remarqué que les marins, on ne saura jamais pourquoi, pouvaient sans qu*on leur demandât aucun permis aller jusqu'aux tranchées et, dans les tran- chées, jusqu'aux sapes. Une heure Lina avec ses jumelles de théâtre regarda la guerre, vit seulement une musaraigne, frémit, grimpa en criant sur le parapet car un rat passait ; et conduite au colonel, éclata de rire en montrant ses dents qui la dénonçaient plus que n'eût fait chez d'autres la poitrine. Elle avoua qu'elle n'était pas matelot, retira ses mains de ses poches, laissa tomber ses cheveux, mit un corset — reprit toutes les habitudes qu'on a sur la terre et pas sur la mer — n'affecta plus de marcher en écartant les genoux comme si elle sentait le globe rouler, et fut reconduite en Italie — la plus belle Italienne ! - — avec im papier du Quartier Général qui la disait indési- rable. Des officiers, disciplinés, se la passaient dans les gares régulatrices, sans donc la vouloir, mais en la cares- sant — et l'itinéraire capricieux de son voyage, les cinq villes, Modane, Bourg, Chalon-sur-Saône, Troyes et Provins, où l'on ne sait distinguer entre une Bolonaise et un marin, — d'ailleurs, tout est logique, les cinq villes les plus éloignées de la mer, — fut désormais semé de postes et de plantons. La voiture dut suivre un dédale à angles droits marqués de ces flèches tirées du carquois des gen- darmes, qui ne saluaient qu'après nous avoir inspectés et reconnus semblables à eux-mêmes...

Provins d'ailleurs semblait une ville folle. Au bruit de notre moteur, chefs et soldats se dissimulaient dans les portes cochères, ou cachaient de leur main sur eux, comme

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