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2l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les rebâtir ; les ombrages détruits repousseront d'eux- mêmes; mais à la blessure qui m'est infligée, il n'y a point de remède !

Arnauld. — Enfant cher entre tous, quel coup vous vient frapper dans mes nouvelles ?

Racine. — Puisque le sacrifice avait été complet, sans duplicité et sans esprit de retour, pourquoi Dieu me l'impose-t-il une seconde fois ?

Arnauld, — De quel sacrifice parlez- vous, et s'il était réellement accompli dans votre cœur, comment serait-il à recommencer ?

Racine. — Ahl qui peut se vanter de connaître son cœur ? J'avais déchiré tous les hens qui retenaient le mien au monde. J'avais brûlé tous ceux de mes vers qui peignaient la passion avec ces mille excuses qu'invente une âme complice. Vous vous rappelez m' avoir trouvé un soir devant les cendres de ma cheminée, dans l'exaltation d'un bonheur qui me couvrait le visage de larmes. J'ai cru passer mon âge mûr dans le calme port de la Grâce, mais maintenant je n'ose plus sonder le passé, tant j'ai peur d'y trouver déjà ce désir inquiet qui vient d'être à jamais déçu et qui me jette dans l'aiïreuse amertume où vous me voyez.

Arnauld. — Vous calomniez cette égalité d'âme qui fut le triomphe de vos années vieillissantes.

Racine. — Savais-je qu'une main trop zélée avait pris copie de ces vers et que, de cette Alceste que j'avais cru détruire, il subsistait des scènes entières, dans le grenier d'une humble maison — hélas, qui ne sont plus que cendre à leur tour. Pourquoi Dieu a-t-il exigé cela ? Je n'avais rien écrit de plus puissant ni de plus tendre.

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