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devant ce bel été, dans les rues ou sur les routes, devant les femmes qui passent ou les enfants qui jouent, et chez vous, devant un beau livre retrouvé, vous pensez souvent à la guerre, sans vous forcer, malgré vous ? Pour moi, j’oublie, mon cher Rivière ; vous oubliez ; je ne vois personne qui ne soit tenté d’oublier. Car tout agit dans le sens de l’oubli : pour bien sentir et comprendre ce que la guerre a changé, ou bien ce qui existait avant elle et toujours mais qu’elle nous a montré sous un éclair soudain, il faudrait sans cesse creuser sous l’apparence et rétablir à grand’peine un enchaînement de rapports secrets. D’un côté, ce qui a le plus de pouvoir sur l’homme : les sensations, l’action présente, les habitudes. De l’autre, ce qui n’a nul pouvoir, sinon celui que l’homme veut bien lui donner : des souvenirs pâlissants, des idées peu mûres et mal affermies… Il est superflu d’accourir au secours du parti le plus fort.

Combien il me plairait de reconnaître, dans les dernières pages du programme, une réponse anticipée à toutes mes objections ! Loin de se désintéresser des graves problèmes posés par la guerre, la Nouvelle Revue Française, il est vrai, promet aux discussions politiques et sociales l’accueil qu’une revue littéraire aurait plein droit de leur refuser. Pourtant un malentendu reste à craindre : la guerre, avec tout ce qui s’y rattache, c’est « problèmes » — pourrait-on croire — c’est « discussions », donc politique et journalisme. Le reste est « littérature » ; le reste appartient à l’art ; car l’art, c’est le naturel ; et le naturel c’est le gratuit. — Cela, nul de nous ne saurait le penser. Vous ne le pensez pas, Rivière. Je me garderais de douter, même si vous ne m’en aviez rien dit, de l’accueil que vous