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148 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'auditeur, le spectateur ont pris Thabitude de ne présenter à l'œuvre d'art que la surface la plus susceptible à la fois et la plus informe de leur âme, de ne tendre vers elle que leurs antennes les plus instinctives et de ne la saisir que par un quelque chose qui n'est même plus l'esprit de finesse, mais une intuition à peine distincte de la volupté. On étonnerait beaucoup l'élite du public .contemporain si on lui disait qu'il peut y avoir en face de l'œuvre d'art une autre attitude que de frémir à son contact, que de la deviner, que d'aller la chercher à tâtons, et dans un enivrant à peu près, par le cœur et par les sens.

Mais on étonnerait encore bien davantage sans doute le créateur, si on lui disait qu'il a à tenir compte d'autres indi- cations que de celles que lui fournit sa sensibilité. Il en est venu peu à peu à penser que tout son génie consistait dans la qualité plus ou moins originale de ses sensations ou de ses impressions. La façon dont sont tressées les fibres de son nerf optique, ou le rythme inédit 'des battements de son cœur: voilà ce qui forme à son avis non pas seulement l'essentiel, mais le tout de ses dons. Quand il compose, il croit devoir n'écouter que cette voix raf&née, capricieuse, incohérente, qui monte des entrailles de son esprit : les harmonies éloignées, difficiles, problématiques parfois, à tout prix nouvelles qu'elle lui dicte, s'il parvient à les noter, il est content. Suivre son instinct jusqu'où il voudra bien le conduire, obéir plus loin qu'on n'a su faire jusqu'à lui à son système nerveux, se rendre sensible à des rapports qui avaient jusque là défié l'aper- ception : voilà toute sa tâche, c'est à quoi s'applique et se borne toute son ambition.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de nier que l'art ait son origine et sa fin principales dans notre sensibilité. Malgré tout c'est bien dans « le charme de sentir >> qu'il prend nais- sance et c'est bien « le charme de sentir » qu'il doit première- ment nous faire éprouver. M. Benda va trop loin quand il

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