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LE CHAGRIN DE LA SÉPARATION ET L'OUBLI III

l'âme tout entière. Il faut chercher à nourrir, à faire croître ces pensées, cependant que décline le sentiment qui n'est plus qu'un souvenir, de façon que les éléments nouveaux introduits dans l'esprit, lui disputent, lui arrachent une part de plus en plus grande de l'âme, et finalement la lui dérobent toute. Je me rendais compte que c'était la seule manière de tuer un amour et j'étais encore assez jeune, assez courageux pour entreprendre de le faire, pour assumer la plus cruelle des douleurs qui naît de la certitude, que, quelque temps qu'on doive y mettre, on réussira. La raison que je donnais maintenant dans mes lettres à Gilberte, de mon refus de la voir, c'était une allusion à quelque mystérieux malentendu, par- faitement fictif, qu'il y aurait eu entre elle et moi et sur lequel j'avais espéré d'abord que Gilberte me demanderait des explications. Mais, en fait, jamais, même dans les relations les plus insi^i fiantes de la vie, un éclaircisse- ment n'est sollicité par un correspondant qui sait qu'une phrase obscure, mensongère, incriminatrice, est mise à dessein pour qu'il proteste, et qui est trop heureux de sentir par là qu'il possède — et de garder — la maîtrise et l'initiative des opérations. A plus forte raison en est-il de même dans des relations plus tendres, où l'amour a tant d'éloquence, l'indifférence sifpeu de curiosité. Gil- berte n'ayant pas mis en doute ni cherché à connaître ce malentendu, il devint pour moi_^quelque chose de réel auquel je me référais dans chaque lettre. Et il y a dans ces situations prises à faux, dans l'affectation de la froideur, un sortilège que vous y fait persévérer. A^ force d'écrire : « Depuis que nos cœurs sont désunis » pour que Gilberte me répondît : « Mais ils ne le sont pas, expliquons-nous »,

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