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visage fatigué, mais calme et grave, d’un homme qui incarnait une grande idée, d’un homme qui porte une grande idée sur ses épaules, et qui est résolu à aller de l’avant pour qu’elle avance, à s’imposer pour qu’elle triomphe : et cela était sensible au premier regard ; visage de souffrance et de volonté, illuminé de vie intérieure, de noblesse, de certitude ; crâne bombé, couronnant un masque fanatique ; crâne puissant, gonflé de pensée, qui tirait à lui toute la lumière des herses, — qui rayonnait. Et les gens de bonne foi ont eu la révélation soudaine qu’il allait se passer là autre chose que ce qu’ils avaient prévu, et qu’il n'y avait pas à écouter gaîment ni à applaudir, mais à se taire et à comprendre que cette première réunion était le commencement de quelque chose de grand, le commencement d’une alliance pour quelque chose de très grand ; qu’ils avaient devant eux un être d’élection, un apôtre venu là pour montrer à nu son cœur et révéler à quelle haute mission il avait fait le sacrifice de sa vie. Et je crois vraiment que nul ne s’y est mépris, lorsque, quittant des yeux les feuillets posés sur sa table, il a dit, d’une voix contenue où chaque mot palpitait de vérité :

« Mes amis, pour comprendre mon émotion, ayez devant les yeux ceci : depuis mon enfance, et à travers toute ma jeunesse, j’ai porté en moi, nourri, défendu, l’idée d’un théâtre qui serait vraiment l’expression de notre beauté moderne. Je touchais à la maturité, et mon rêve touchait à sa réalisation, lorsque, brusquement, d’un seul coup, la guerre a tout emporté. »

Il cède un instant au poids des souvenirs. Il rappelle les débuts, la saison de huit mois à Paris en 1913-1914, les deux années d’Amérique. Puis il relève la tête et porte en avant son front têtu :

« Mais nous sommes de ceux qu’on n’entame pas. Et nous voici revenus, pour la même tâche.

« L’état du théâtre est pire qu’en 1913. Les scènes du