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1096 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

représenter. Il en est absolument détaché et le peut juger « en toute clarté d'esprit ». Il en fait le tour, posément ; son œil sans cesse revient sur ses propres traces pour vérifier ses notations. Cet homme éminemment sain prouve à chaque instant sa lucidité en fixant, selon les règles établies, le résultat de la vision successive qu'il a des choses.

Quelle fut, au contraire, la lamentable posture dans laquelle nous mit l'impressionnisme ? Nous tournons résolu- ment le dos aux musées : fi des nobles attitudes, fi du noir et de la terre de Sienne. « Il n'y a pas de noir dans la nature ! » La vérité visuelle n'a jamais été dite. Pour la découvrir ne restons pas immobiles, maîtres de nous-mêmes (que tirerions- nous de nous-mêmes, puisque nous ne sommes bourrés que d'erreurs ?) Nous demandons aux choses le secret de leur texture et, pour mieux le découvrir, nous nous mélangeons à elles ; nous nous identifions à V objet. Nous baignons dans un flot de couleurs, dans un mouvement de formes indécises, que nous absorbons synchroniquement. Nous ne savons plus où finit la forme de l'objet et où com- mence celle qu'il projette en nous. Constatations scientifiques et illusions d'optique se mélangent instantanément en notre conscience; où sommes-nous; où est l'objet ? Est-ce notre cerveau qui décide ? N'est-ce pas plutôt cette fleur balancée qui se prolonge sur la toile par l'intermédiaire de notre main, y déposant son parfum volatil ?

Nous comprenons que, spectateur bien assis dans le confortable fauteuil académique, M. Cormon sourie de pitié à des jeux si peu sérieux, et que récemment il se soit mis en colère, trouvant que la farce avait assez duré. Nous sommes absolument d'accord avec lui sur ce point. A trop complaisamment nous laisser entraîner dans l'engrenage des forces cosmiques, nous y avons laissé quelque chose de nous- mêmes. Nous en sortons, sinon mutilés, du moins profondé- ment meurtris.

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