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I008 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

métier. A quoi lui servirait de masquer l'énorme sérieux de son cas par une attitude détachée? L'histoire nous le montre à chaque instant émerveillé de la trouvaille qu'il vient de faire, quittant le chevalet pour se prouver à lui-même la valeur de ses découvertes. Il n'y a qu'un siècle à peu près que ce geste est incriminé — depuis Barbizon où se crée la légende du peintre-ruminant. Il sera intéressant d'étudier les modalités du « paysagisme », si nous osons dire, et de fixer la décadence du personnage naguère dictateur des éléments, aujourd'hui asservi aux plus misérables contingences.

Le peintre absorbé par le paysage et qui ne vise qu'à fixer par une espèce de mimique les vibrations qui l'agitent, qui ne veut que prolonger sur la toile les ondes qui l'enva- hissent voluptueusement, n'a pas besoin de « dicter ses conditions» à ses émotions. Il est l'outil aveugle que manie la nature. Il n'a pas besoin de connaître les lois dont il n'est que l'exécuteur inconscient. Il ne lui est d'aucune utilité de se recueillir devant ses œuvres et d'en dégager la signification pour s'épargner, dans l'œuvre future, de douloureux tâtonnements.Son horizon spirituel est exacte- ment délimité par les bornes de celui que ses yeux redé- couvrent chaque jour. Logique à sa façon, il maintient son esprit dans une incompréhension opportune qui lui épargne l'ennui de parcourir un territoire étroit dont il connaîtrait les moindres détails. Le soin qu'il met à ne recueillir aucun souvenir profond, à n'acquérir aucune expérience, lui permet de s'étonner toute sa vie des mêmes phénomènes immédiats. Mais le peintre ambitieux de reculer les limites de son investigation matérielle et morale n'épargnera rien pour se dresser à lui-même

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