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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 295

dans la même page il écrit à trente lignes d'intervalles : "J'aimais pourtant la vie, mais la vie expansive, radieuse, rayonnante ; je l'aimais dans le galop furieux des coursiers, dans le mouvement des vagues qui courent vers le rivage ; je l'aimais dans le batte- ment des belles poitrines nues, dans le tremblement des regards amoureux..., dans le soleil couchant, qui dore les vitres et fait penser aux balcons de Babylone où les reines se tenaient accou- dées en regardant l'Asie, " et ensuite : " Je suis né avec le désir de mourir. Rien ne me paraissait plus sot que la vie et plus honteux que d'y tenir. " Il n'y a pas là de contradiction, mais toujours les deux versants du génie de Flaubert, son être d'ima- gination, son être de réalité. Dans ces deux courts romans, il est successivement, et sans illusion de sa part, Emma Bovary, Frédéric Moreau, Bouvard et Pécuchet : personnages peu com- pliqués. L'homme ne se modifiera plus, ne s'enrichira guère.

Il n'en est pas de même de l'écrivain. L'essentiel de Flaubert, sa goutte de pourpre, c'est son style : le reste, un coquillage qui se sentait broyé par la vie pour servir à cette œuvre de choix ! A ce point de vue, ces deux volumes deviennent intéressants. Ils nous font connaître, dans ses racines et ses origines, ce style. Ils nous font toucher la nature primitive de laquelle et contre laquelle Flaubert l'a construit.

On peut en obtenir une clarté sur une question que M. Remy de Gourmont a posée et traitée autrefois dans un de ses livres les plus aigus : le Problème du Styky — et qu'il appelle, à cause de l'occasion qui la soulève, la question Taine. Il s'agissait du style de Taine, et de certains aphorismes tranchants émis par M. Faguet dans l'une de ses Histoires de la littérature française (elles ne sont pas encore numérotées). " Le style de Taine, disait M. Faguet, est un miracle de volonté. Il est tout artificiel. On sent que non seulement il n'est pas l'homme, mais qu'il est le contraire de l'homme. Ce logicien, qui a vécu dans l'abstrac- tion, a voulu se faire un style plastique, coloré et sculptural, tout en relief et en images, et il y a réussi. Et c'est pour cela

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