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200 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

regard est timide, enfantine presque, et d'une douceur telle que lorsqu'il se pose sur vous on voudrait leur ouvrir son cœur. Ce sont, nous dit le drogman, des pêcheurs du poissonneux Akchéhr-Gheul, l'étang que nous venons de longer. La voiture qui les amenait au train a été atta- quée, et le cocher, qu'on hisse à présent dans le wagon, a reçu une charge de pistolet ou de fusil dans la figure. Il semble moribond. Nous nous approchons de lui, G. et moi ; traversant la pouilleuse foule qui encombre le cou- loir. Il est tout affalé par terre, la tête appuyée à la hauteur de la banquette, penché en avant comme pour vomir ; il rend le sang assez abondamment par la bouche ou le nez, on ne sait trop, car son mouchoir, attaché en bandeau, lui cache le bas du visage. A peine si les Turcs du vi^agon l'ont regardé, bien qu'il soit Turc lui-même. A la station d'Ak-Cheir, on le descend, inerte, sans connaissance, mort peut-être, couvrant de sang l'épaule du débardeur qui l'emporte.

A partir d'Afioun Kara Hissar nous quittons la ligne par où nous étions venus, et nous nous dirigeons vers la côte occidentale. Le pays bientôt semble s'humaniser ; c'est-à-dire que les plis du terrain sont moins vastes et les terres plus cultivées...

Je ne prends plus plaisir à ces notes et délaisse bientôt complètement mon carnet. Je ne l'ai repris ni à Ephèse, ni à Smyrne où nous nous attardâmes encore quelques jours ; après quoi je fus précipité vers la Grèce, de toute la force même de mon aversion pour la Turquie. Si là-bas je recommence à écrire, ce sera sur un autre carnet.

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