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l66 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Même alors qu'il croit traduire il trahit. S'en tenant à une puérile substitution des mots aux mots sous prétexte de littéral ité, il défigure l'image, déforme le vers, fausse l'idée. Il est dupe d'une fidélité superficielle qui lui fait traduire " Wein her " : " du vin ici"; " es wur eine, die " : " il était une qui ", comme si l'on s'attachait à dire : Nicole, apportez-moi mes pantoufles : " herbringen mir meine PantofFel ", alors que la bonne adaptation irait droit aux représentations — et non plus aux mots — et les "traduisant" une seconde fois, susciterait en nous, avec des tournures de notre langue, des états identiques à ceux qu'y déterminerait l'original si nous le pouvions lire. Point n'est besoin pour cela de donner au français une saveur d'étrangeté qui n'est point dans le texte allemand, ni de faire fi des rapports grammaticaux qui sont là non pour la joie des grimauds mais pour répondre à des nécessités internes. Un accusatif de mouvement par exemple met entre les mots allemands une relation qui tient au mouvement de la pensée elle-même, et traduire " Mein Sohn, in deinen Wiegentraum zornlacht der Sturm " par " mon fils, dans ton rêve du berceau (in deinem...) la tempête rit en courroux ", ce n'est point rendre cet élan, si caractéristique chez Dehmel, de la tempête qui jette l'éclat de son rire et de sa fureur dans le rêve de l'enfant au berceau. Ainsi le mot à mot, outre qu'il fait violence aux deux langues, détruit le rythme que M. Guilbeaux pourtant se flatte d'avoir rendu. Souvent il fait violence à la pensée même, comme dans cette traduction de Hofmannsthal, où tous les mots de l'original se retrouvent, mais le sens ? Il s'agit du vent de printemps :

[Er] hat sich geschmiegt ... Il s'est courbé

In zerrtlttetes Haar Dans des cheveux en désordre

Und Ktihlte die Glieder Et a fraîchi les membres

Die atmend glUhten Qui s'enflammaient en respirant

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