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NOTES 155

pas, au moins pour un temps, aussi inerte et aussi brute que les voix de la nature ? Il ne s'agit pas de la rendre descriptive ni pittoresque, mais simplement, au lieu d'humaine, minérale.

Il faut éviter d'émouvoir : tel est le principe. En voici les conséquences :

D'abord le musicien devra renoncer à la répétition des thèmes. En effet la répétition est un moyen d'attenter à la sen- sibilité. Lorsqu'une mélodie revient pour la seconde fois, elle trouve en nous des chemins plus profonds qui se sont préparés pour elle en son absence ; elle devient plus intime, plus iné- luctable ; l'habitude affaiblissant notre résistance, elle coule tout de suite au plus bas de notre âme, dans la région où nous ne sommes que trouble et frémissement. — Pour éviter ces atteintes indiscrètes, chaque objet ne sera donc nommé, autant que pos- sible, qu'une fois ; il n'y aura pas de rentrée des thèmes. Le musicien s'interdira avant tout de profiter du temps et des effets qu'il nourrit ; il proscrira ces suspensions et ces retours, ces oublis et ces rappels, ces apaisements et ces crises qui sont les mouvements mêmes du pathétique.

De plus chaque objet sera énoncé à part de tous les autres et comme environné de blanc. Il ne s'agit pas d'émouvoir, mais de signifier. C'est un mot que nous dit le musicien, et il supprime la phrase qui le ferait entrer en nous, qui le porterait jusqu'à notre âme. Il montre simplement ; il prend tour à tour chacune de ses idées et nous la présente un instant : sitôt que nous avons eu le temps matériel, ou plutôt légal, de la com- prendre, il la retire ; il n'en donne que juste ce qu'il faut pour que l'intelligence puisse dépister ce qu'il veut dire ; tout de suite il coupe le courant, pour qu'il n'aille pas, plus loin que l'esprit, mettre en danse nos facultés d'émotion. De là vient le caractère abrégé de sa musique : à la ressemblance des toiles cubistes et futuristes, elle a l'air d'un recueil d'échantillons. Il faut la feuilleter plutôt que la sentir ; il faut examiner ce qu'elle contient et tourner soi-même la page, lorsqu'on a vu.

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