Page:NRF 12.djvu/127

Cette page n’a pas encore été corrigée

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 121

jour incertain et fatal. Elle ne me demanda rien ; il sem- blait, de même que la méchanceté aime à exagérer les souffrances des autres, que par tendresse elle ne voulût pas admettre que sa mère fût très malade, surtout d'une maladie qui peut affaiblir l'intelligence. Ma mère trem- blait, son visage pleurait sans larmes, elle courut dire qu'on allât chercher le médecin, mais comme Françoise demandait qui était malade, elle ne put répondre, sa voix s'arrêta dans sa gorge. Elle descendit en courant avec moi, effaçant de sa figure le sanglot qui la plissait. Ma grand'mère attendait en bas sur le canapé du vestibule, mais dès qu'elle nous entendit, se redressa, se tint debout, fît à maman des signes gais de la main. Je lui avais enve- loppé à demi la tête avec sa mantille en dentelle blanche lui disant que c'était pour qu'elle n'eût pas froid dans l'escalier. Je ne voulais pas que ma mère remarquât trop l'altération du visage, la déviation de la bouche ; ma pré- caution était inutile : ma mère s'approcha de grand'mère, embrassa sa main comme celle de son Dieu, la soutint, la souleva jusqu'à l'ascenseur, avec des précautions infinies où il y avait, avec la peur d'être maladroite et de lui faire mal, l'humilité de qui se sent indigne de toucher à ce qu'il connaît de plus précieux, mais pas une fois elle ne leva les yeux, et ne regarda pas le visage de la malade. Peut-être fut-ce pour que celle-ci ne pût pas s'attrister en pensant que sa vue avait pu inquiéter sa fille. Peut-être par crainte d'une douleur trop forte qu'elle n'osa pas affronter. Peut-être par respect, parce qu'elle ne croyait pas qu'il lui fût permis sans impiété de constater la trace de quelque affaiblissement de l'esprit dans le visage vénéré. Peut-être pour mieux garder plus tard

�� �