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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 99

quelle plus infranchissable barrière que le silence ? On a dit aussi que le silence était un supplice, — et capable de le rendre fou, — pour celui qui y était astreint dans les prisons. Mais quel supplice, — plus grand que de garder le silence, — de l'endurer de ce qu'on aime ! Robert se disait : " Que fait-elle donc, pour qu'elle se taise ainsi ? Sans doute elle me trompe avec d'autres. " Et il l'accu- sait. Et il se disait encore : " Qu'ai-je donc fait pour qu'elle se taise ainsi. Elle me hait peut-être, et pour toujours. " Et il s'accusait. Ainsi le silence l'afiFolait en effet, par la jalousie et par le remords. D'ailleurs, plus cruel que celui des prisons, ce silence-là est prison lui- même. C'est une clôture immatérielle sans doute mais impénétrable, cette tranche interposée d'atmosphère vide que les rayons visuels de l'abandonné ne peuvent que traverser. Est-il un plus terrible éclairage que le silence qui ne nous montre pas une absente mais mille, et chacune se livrant à quelque autre trahison. Parfois dans une brusque détente, ce silence, Robert croyait qu'il allait cesser à l'instant, que la lettre allait venir. Il la voyait, elle arrivait, il épiait chaque bruit, il était déjà désaltéré, il murmurait : " La lettre ! La lettre ! " Puis après avoir entrevu cette oasis imaginaire de tendresse il se retrouvait piétinant avec désespoir dans le désert réel du silence sans fin.

Pour moi, sans rien savoir il me semblait impossible que la maîtresse de Saint-Loup eût réellement l'intention de quitter. Lui-même ne savait qu'en penser. Il souffrait d'avance sans en oublier une, toutes les douleurs d'une rupture qu'à d'autres moments il croyait pouvoir éviter, comme les gens qui préparent toutes leurs affaires en vue

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