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968 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Croyez-vous que je pense pour cela qu'il vaut moins que moi. Je m'efforce de tout comprendre et je me garde de rien condamner. En somme ne vous plaignez pas trop, je ne dirai pas que ces tristesses ne sont pas cruelles, je sais ce qu'on peut souffrir pour des choses que les autres ne comprendraient pas. Mais du moins vous avez bien placé votre affection dans votre grand'mère. Vous la voyez beaucoup. Et puis c'est une tendresse permise, je veux dire une tendresse payée de retour. Il y en a tant dont on ne peut pas dire cela.

Il marchait de long en large dans la chambre, regar- dant un objet, en soulevant un autre. J'avais l'impression qu'il avait quelque chose à m'annoncer et ne trouvait pas en quels termes le faire. Quelques minutes se passèrent ainsi, puis, de sa voix redevenue cinglante, il me jeta :

    • bonsoir monsieur " et partit. Après tous les senti-

ments élevés que je lui avais entendu exprimer, le lendemain matin, qui était le jour de son départ, sur la plage, au moment où j'allais prendre mon bain, comme M. de Charlus s'était approché de moi pour m'avertir que ma grand'mère m'attendait aussitôt que je serais sorti de l'eau, je fus bien étonné de l'entendre me dire, en me pinçant le cou, avec une familiarité et un rire vulgaires :

— Mais on s'en fiche bien de sa vieille grand'mère, hein ? petite fripouille ?

— Comment, monsieur, je l'adore !...

— Monsieur, me dit-il en s'éloignant d'un pas, et avec un air glacial, vous êtes encore jeune, vous devriez en profiter pour apprendre deux choses, la première c'est de vous abstenir d'exprimer des sentiments trop naturels

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