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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 965

menât un homme et qu'il ne trouvait jamais assez éner- gique et virile ? (Lui-même dans ses longs voyages à pied, après des heures de course, disait se jeter brûlant dans des rivières glacées.) Il n'admettait pas qu'un homme portât une bague. Et je remarquai que même autour de cet annulaire qu'il m'avait tendu il n'y en avait aucune. Mais ce parti-pris de virilité ne l'empêchait pas d'avoir des qualités de sensibilité des plus fines. A M™** de Villeparisis qui le priait de décrire pour ma grand'mère un château 011 avait séjourné M™' de Sévigné, ajoutant qu'elle voyait un peu de littérature dans ce désespoir d'être séparée de cette ennuyeuse M"^ de Grignan :

— Rien au contraire, répondit-il, ne me semble plus vrai. C'était du reste une époque où ces sentiments-là étaient bien compris. L'habitant du Monomopata de Lafontaine courant chez son ami qui lui est apparu un peu triste pendant son sommeil, le pigeon trouvant que le plus grand des maux est l'absence de l'autre pigeon, vous semblent peut-être, ma tante, aussi exagérés que M™® de Sévigné ne pouvant pas attendre le moment où elle sera seule avec sa fille.

— Mais une fois seule avec elle, elle n'avait probable- ment rien à lui dire.

— Certainement si ; fût-ce de ce qu'elle appelait " choses si légères qu'il n'y a que vous et moi qui les remarquions ". Et même si elle n'avait rien à lui dire, elle

tait du moins près d'elle. Et La Bruyère nous dit que

'est tout : " Etre près des gens qu'on aime, leur parler,

le leur parler point, tout est égal. " — Il a raison ; c'est

le seul bonheur, ajouta M. de Charlus d'une voix mélan-

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