Page:NRF 11.djvu/896

Cette page n’a pas encore été corrigée

890 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

cratie et de Taristocratie permettent à M. Benda de conclure : "Toutes ces passions reviennent à une seule : éprouver un état des sens ou du cœur par la spéculation philosophique, refuser tout état d’esprit.... Si l’on appelle démocratie une société en quête du seul sentir, qu’elle cherche aux voies les plus étranges, le bergsonisme est rigoureusement la philosophie d’une démocratie."

Ce "rigoureusement" est admirable et concluant. Les définitions proposées pourraient être inverties : il serait aussi facile de démontrer que la démocratie a sa source dans une philosophie purement rationaliste, et c’est même la conception la plus généralement acceptée. M. Benda sacrifie trop aisément à ce "figarisme philosophique" qu’il reproche si vivement à Georges Sorel, escomptant une polémique à laquelle l’apôtre syndicaliste ne s’est pas laissé entraîner. Faut-il voir dans cette Philosophie Pathétique une manifestation du mouvement récent qu’a provoqué la philosophie bergsonienne et dont Charles Péguy a exprimé le mobile secret en cette belle formule : "Ce qu’on ne pardonne pas à Bergson, c’est d’avoir brisé nos fers ?" Même pas. En lisant des phrases comme celles-ci : "Bien que cette volonté d’une communion pâmée avec l’essence des choses ait existé de tout temps chez les sociétés élégantes, je veux dire chez ces groupes de personnes oisives et bien nourries qui viennent satisfaire aux produits de l’imagination un pléthorique besoin de sentir..." — le lecteur se demande si l’auteur ne se moque pas de lui, mais il sourit de voir M. Benda lui croire tant de naïveté ; il compare instinctivement ce petit livre à l’acte de ces pauvres hères qui vont dans les musées esquisser un geste contre une œuvre de maître afin d’attirer sur leur dénuement l’attention publique. E. D.