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854 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Dostoïevski n*est pas, tour à tour, tous les Possédés ni tous les saints Innocents de sa tragédie divine. Mais tous les Karamazov et tous les Muichkine tiennent de Dostoïevski, plus ou moins. Sonia et Raskolnikov ont de lui, comme Marmé- ladov et Lébédev, Rogojine et Svidrigaïlov eux- mêmes. Dans la vie quotidienne, Dostoïevski n*a pu vivre qu'une fois avec une petite fille ; mais dans le monde de ses livres, il a connu toutes les formes de l'excès et de la négation. S'il ny suc- combe, plus l'artiste est vaincu selon le siècle, et plus il doit remporter d'étonnantes victoires dans le silence brûlant de la création. Stendhal est un de ces magnifiques vaincus. Cézanne en est un autre.

On se venge ainsi de toutes les contraintes, de toutes les défaites, de toutes les humiliations. L'art est bien le monde 011 le poète est roi. Qu'on lui conteste ici son règne et son triomphe. L'œuvre est toujours une confession ; mais quand il s'agit de Shakspeare, de Cervantes, de Stendhal, de Dostoïevski, on frémit de joie et d'orgueil à con- templer l'insolence de leurs conquêtes, la grandeur de leur domination,et l'étendue de leurs royaumes. Ah, chiens couronnés, chiens légitimes, chiens d^ ministres, chiens politiques, chiens en possession Comme on rit de vous, quand on n'a même pas besoin d'usurper l'empire ! mais on se taille un royaume, on se le constitue de toutes pièces, e( on se le donne. Et s'il vous est seulement permi

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