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PARSIFAL ' 769

l'impossible et le réduit en servitude. Il n'a pas besoin de cette espèce d'humanité préalable de la matière dont cer- tains grands créateurs n'ont pas pu se passer. On dirait qu'il fait exprès de s'attaquer aux sujets les plus faux, les plus conceptuels, pour montrer que rien ne saurait résister à son pouvoir de matérialisation. Wagner réunit en lui les caractères extrêmes du génie allemand. D'une part il est plein de rêves ; l'imagination en lui est molle, féconde et indéfinie, comme il arrive toujours quand elle est inspirée par le sentiment ; il n'est rien de si nuageux et de si artificiel qu'il ne puisse aller concevoir. Mais d'autre part, pour servir ces divagations, il a une force indomp- table, cette longueur de vue, cette patience inflexible, cette science des réalités qui fait les grands hommes d'état. Je ne pense pas être le premier à le comparer à Bismarck. Parsifal^ c'est une province annexée. Et celle-là du moins ne bougera plus. Car elle est tenue par quelque chose de plus fort qu'une forte administration. Wagner en effet a réussi ce que les Allemands n'ont pas su faire en Alsace : à sa captive il a insufflé son âme. Parsifal a beau être complètement privé de la religion qu'il déclare et magnifie : quelque chose est au centre de l'œuvre, qui l'anime. Une dose aussi formidable de pouvoir créateur que celle qu'y a dépensée Wagner, laisse d'autres traces que la perfection toute formelle des contours ; une sorte de noyau obscur est demeuré au plein milieu, mysté- rieux résidu de la déflagration du génie, produit immédiat et sans nom de sa toute-puissance, lambeau de l'âme dure et munificente, despotique et sentimentale, chimé- rique et positive de ce grand démiurge.

Jacques Rivière.

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