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654 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Il s'arrêta.

— Je vous écoute comme un frère, Monsieur de Baraglioul, reprit Lafcadio enhardi, — puisque vous voulez bien m'y inviter.

— Voyez-vous, Lafcadio, dans le milieu où je vis à Paris, parmi tous ceux que je fréquente : gens du monde, gens d'Eglise, gens de lettres, académiciens, je ne trouve à vrai dire personne à qui parler ; je veux dire : à qui confier les nouvelles préoccupations qui m'agitent. Car je dois vous avouer que, depuis notre première rencontre, mon point de vue a complètement changé.

— Tant mieux, dit impertinemment Lafcadio.

— Vous ne sauriez croire, vous qui n'êtes pas du métier, combien une éthique erronée empêche le libre développement de la faculté créatrice. Aussi rien n'est plus éloigné de mes anciens romans, que celui que je projette aujourd'hui. La logique, la conséquence, que j'exigeais de mes personnages, pour la mieux assurer je l'exigeais d'abord de moi-même ; et cela n'était pas naturel. Nous vivons contrefaits, plutôt que de ne pas ressembler au portrait que nous avons tracé de nous d'abord : c'est absurde : ce faisant, nous risquons de fausser le meilleur.

Lafcadio souriait toujours, attendant venir et s'amusant à reconnaître l'effet lointain de ses premiers propos.

— Que vous dirais-je, Lafcadio ? Pour la première fois je vois devant moi le champ libre... Comprenez- vous ce que veulent dire ces mots : le champ libre ?... Je me dis qu'il l'était déjà ; je me répète qu'il l'est toujours, et que seules jusqu'à présent m'obligeaient d'impures considé- rations de carrière, de public, et de juges ingrats dont le

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