522 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
connaît ni école, ni mode. Classique, romantique, réaliste ou lyrique, une œuvre vaut ce qu'elle vaut et non ce que vaut rétiquette, à tel ou tel moment, suivant le goût public. Bonne hier, elle reste bonne aujourd'hui, si la qualité y était. Quant à celles dont la qualité nous fait croire qu'elles seront sans doute jugées bonnes demain, on tâche ici de les juger bonnes sur l'heure.
On a peu parlé de V Avare, ou bien tardivement — j'en- tends, dans les journaux, car son succès durable prouve que le public en parle. La critique se dérange-t-elle pour une vieille pièce que la Comédie-Française tient depuis longtemps empaillée dans sa vitrine de chefs-d'œuvre et qui s'avise d'aller ressusciter ailleurs ! Si on mesure l'étiage d'une troupe de comédiens aux difficultés de l'ouvrage qu'ils interprètent, voilà pourtant une belle occasion de venir constater si, oui ou non, la troupe du Vieux-Colombier est à la hauteur de sa tâche ! — Molière n'a rien écrit qui soit plus singulier, plus composite, plus génial en partie, en partie plus conventionnel, rien de plus déconcertant que V Avare. Dans ses grandes pièces en vers on trouve un Molière appliqué, et appliqué, peut-être, à un chose qui n'est pas de son goût et qui n'est pas son fait. Cette application à soumettre les propos des valets, des raisonneurs et des galants, les propos d'Elmire et de Célimène, d'Arnolphe, de Tartuffe, d'Alceste, à la cadence bourgeoise, au rythme sans accent d'un alexandrin cursif et scolaire, cette application de grand écolier à qui Boileau ne veut pas laisser oublier qu'il y a des règles^ des genres et une hiérarchie des genres, communique à l'ouvrage une unité de ton factice, qui s'accorde fort bien avec l'esthé- tique du siècle, mais moins bien certes avec le génie de Molière. Quand il joue au Térence, Molière émousse sa rudesse, sans arriver à se polir ; il perd plus en génie qu'il ne gagne en talent ; il ne s'affine point, il s'embourgeoise. Si beau, si grand, si contenu que soit le Misanthrope c'est, par là, une moins forte pièce que V Avare, et Tartuffe est une moins âpre pièce que
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