Page:NRF 11.djvu/268

Cette page n’a pas encore été corrigée

262 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

naissante passion, qu'aussitôt l'un à l'autre ils s'avouèrent, loin de les diviser, ne fît que resserrer leur couture. Et certes Arnica ne leur donna d'abord, à l'un non plus qu'à l'autre, de grands motifs de jalousie. Aucun d'eux du reste ne s'était déclaré ; et jamais Arnica n'eût été sup- poser leur flamme, malgré le tremblement de leur voix lorsque, à ces petites soirées du dimanche chez Madame Semène dont ils étaient les familiers, elle leur offrait le sirop, la verveine ou la camomille. Et tous deux, s'en retournant le soir, célébraient sa décence et sa grâce, s'inquiétaient de sa pâleur, s'enhardissaient...

Ils convinrent de se déclarer l'un et l'autre le même soir, ensemble, puis de s'abandonner à son choix. Arnica toute neuve devant l'amour, remercia le ciel dans la sur- prise et la simplicité de son cœur. Elle pria les deux soupirants de lui laisser le temps de réfléchir.

A vrai dire elle ne penchait non plus vers l'un que vers l'autre, et ne s'intéressait à eux que parce qu'eux s'intéressaient à elle, alors qu'elle avait résigné l'espoir d'intéresser jamais personne. Six semaines durant, perplexe de plus en plus, elle s'enivra doucement des hommages de ses prétendants parallèles. Et tandis que dans leurs promenades nocturnes, supputant mutuellement leurs progrès, les Blafafoires se racontaient longuement l'un à l'autre, sans détours, les moindres mots, les regards, les sourires dont elle les avait gratifiés. Arnica, retirée dans sa chambre, écrivait sur des bouts de papier qu'elle brûlait soigneusement ensuite à la flamme de sa bougie, et répé- tait inlassablement tour à tour : Arnica Blafaphas ?... Arnica Fleurissoire ? incapable de décider entre l'atrocité de ces deux noms.

�� �