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152 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

même dans cette oasis de blancheur et de méditation, il oublie trop rarement qu*il est polémiste. Dans sa préface, M. Octave Mirbeau le compare à un fauve aux yeux doux et féroces. " On serait intimidé parfois, dit-il, si, brusquement, on ne découvrait sur l’échine cambrée ce petit frisson multiplié qui trahit sa sensibilité. Car il est tendre au repos, lorsqu’on ne le regarde pas en dessous pour lui oiFrir du sucre. " Mais précisément, moi qui ai les mains vides, je m’irrite quand il semble me soupçonner. Toutes les deux pages il est sur ses gardes. Il a pourtant des moments de repos véritable. Son style s’éclaire ; son observation se fait plus délicate. Charles-Louis Philippe eût aimé cet accent :

" Le mal est un moindre personnage en plein jour. C’est la nuit qu’il vous accule en un creux du lit et dit : " A nous deux. " Il est semblable à ces charretiers brutaux qui n’assom- ment de coups leurs bêtes, que s’ils sont sûrs de n’être pas vus... On décide de me faire une piqûre de morphine. La douleur disparaît en quelques minutes, laissant comme une empreinte d’elle-même. Elle ne s’en va pas comme quelqu’un qui prend la porte pour de bon, mais comme quelqu’un qui va se coucher dans la pièce à côté. Si elle reparaît atténuée, on dirait qu’elle a mis des pantoufles... La souffrance physique, si elle est suffisamment prolongée, puissante et variée, — je ne parle pas d’une monotone rage de dents ou d’une colique poignante et convulsive — la souffrance physique peut être un spectacle. Et non pas un spectacle factice qu’on se crée. On ne la regarde pas, à la façon dont les écrivains ont regardé leur âme, en clignant des yeux, comme pour distinguer un petit objet éloigné. Elle est un spectacle véritable, comme la mer en tempête ou comme un rapide qui passe devant nous quand nous rêvassons sur le banc d’une gare de village. "

Il y a dans la Maison Blanche plus d’une page de cette qualité.

J.S.

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