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I060 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ne peut comprendre ce pays — ni ses mœurs, ni ses institu- tions, ni son art — tant qu'on n'en connaît point la religion. En la dérivant toute du culte des ancêtres, l'auteur prend à la fois pour guides Herbert Spencer et Fustel de Coulanges ; je crois qu'il leur fait trop de confiance ; mais les idées qu'il leur doit rassemblent bien les faits sans les dénaturer. Les faits eux- mêmes nous montrent une étroite communauté de famille, de classe, de tribu, de village, qui de toutes parts contraint et façonne l'individu. Ce régime patriarcal, ni le pouvoir impé- rial, ni l'usurpation militaire, ni la propagande jésuite, ni la féodalité ne l'ont modifié gravement jusqu'à l'époque du Meiji; la vie industrielle, le parlementarisme, sont trop récents pour en avoir effacé les coutumes. L'esprit des morts continue de gouverner les vivants : " L'homme demeure soumis à trois sortes de pouvoirs : la volonté de ses supérieurs le prive de sa liberté morale ; la volonté commune de ses égaux lui refuse le droit à la libre concurrence ; la surveillance des inférieurs le contraint, tout en dirigeant les actions d'autrui, à s'abstenir d'innovations bienfaisantes... " Dans la vie scolaire aussi, c'est toujours la masse qui soumet l'individu : " Dans ce monde froid, tranquille, ordonné, il n'y a place ni pour la joie, ni pour la jeunesse, ni pour la sympathie ".

Cette froideur, cette rigueur cachées sous des dehors tendres et délicats, on prétend que Hearn lui-même en pâtit, après que, pour fonder une famille au Japon, il eut renoncé son titre de citoyen américain. Il est certain que, s'il admire encore, le ton de ses louanges a changé. Sans doute il voit disparaître à regret les résultats merveilleux " des innombrables tyrannies qui pesèrent jadis sur ce monde de fées : la simplicité de la coutume antique, l'amabilité des manières, le raffinement des mœurs, le tact délicat qui se montre dans l'art de faire plaisir à autrui, l'étrange pouvoir de ne montrer au dehors que les aspects les meilleurs et les plus gais de son caractère. " Il estime encore que le Vieux Japon " s'est rapproché de l'idéal moral le

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