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Qui j’étais, qui je suis ?— Eh ! qui pouvez-vous être,
Mon ami, si ce n’est un riche et beau seigneur ?
Nul ne vous parle ici, qui ne vous rende honneur.

— As-tu, dit le jeune homme, autour des promenades,
Rencontré quelquefois, le soir, sous les arcades,
De ces filles de joie errant en carnaval,
Qui traînent dans la boue une robe de bal ?
Elles n’ont pas toujours au bout de la journée
Du pain pour leur souper. Telle est leur destinée ;
Car souvent de besoin ces spectres consumés
Prodiguent aux passants des baisers affamés.
Elles vivent ainsi. C’est un sort misérable,
N’est-il pas vrai ? Le mien cependant est semblable.

— Semblable à celui-là ? dit l’enfant. Je vois bien,
Dalti, que vous voulez rire, et qu’il n’en est rien.

— Silence ! dit Dalti ; la vérité tardive
Doit se montrer à vous ici, quoi qu’il arrive.
Je suis fils d’un pêcheur.

Je suis fils d’un pêcheur.— Maria ! Maria !
Prenez pitié de nous, si c’est vrai, dit Portia.

— C’est vrai, dit l’étranger. Écoutez mon histoire :
Mon père était pêcheur ; mais je n’ai pas mémoire
Du jour où pour partir le destin l’appela,
Me laissant pour tout bien la barque où nous voilà.
J’avais quinze ans, je crois ; je n’aimais que mon père,
Ma venue en ce monde ayant tué ma mère.
Mon véritable nom est Daniel Zoppieri.
Pendant les premiers temps mon travail m’a nourri.
Je suivais le métier qu’avait pris ma famille ;
L’astre mystérieux qui sur nos têtes brille