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Mêlait aux flammes d’or ses longs rayons d’argent.
Si bien que, dans le coin le plus noir de la chambre,
Sur un lit incrusté de bois de rose et d’ambre,
En y regardant bien, frère, vous auriez pu,
Dans l’ombre transparente, entrevoir un pied nu.
— Certes, l’Espagne est grande, et les femmes d’Espagne
Sont belles ; mais il n’est château, ville, ou campagne,
Qui, contre ce pied-là, n’eût en vain essayé
(Comme dans Cendrillon) de mesurer un pied.
Il était si petit, qu’un enfant l’eût pu prendre
Dans sa main. — N’allez pas, frère, vous en surprendre ;
La dame dont ici j’ai dessein de parler
Était de ces beautés qu’on ne peut égaler :
Sourcils noirs, blanches mains, et, pour la petitesse
De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse.

Cependant les rideaux, autour d’elle tremblant,
La laissaient voir pâmée aux bras de son galant :
Œil humide, bras morts, tout respirait en elle
Les langueurs de l’amour, et la rendait plus belle.
Sa tête avec ses seins roulait dans ses cheveux,
Pendant que sur son corps mille traces de feux,
Que sa joue empourprée, et ses lèvres arides
Qui se pressaient encor comme en des baisers vides,
Et son cœur gros d’amour, plus fatigué qu’éteint,
Tout d’une folle nuit vous eût rendu certain.
Près d’elle, son amant, d’un œil plein de caresse,
Cherchant l’œil de faucon de sa jeune maîtresse,
Se penchait sur sa bouche, ardent à l’apaiser,
Et pour chaque sanglot lui rendait un baiser.
Ainsi passait le temps. — Sur la place moins sombre,
Déjà le blanc matin faisant grisonner l’ombre,
L’horloge d’un couvent s’ébranla lentement ;