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Cassandre est la terreur des vieillards indulgents.
Croyez-vous, cependant, mon cher, que la nature
Laisse ainsi par oubli vivre sa créature ?
Qu’elle nous ait donné trente ans pour exister,
Et le reste pour geindre ou bien pour tricoter ?
Figurez-vous, Silvio, que j’ai, la nuit dernière,
Chanté fort joliment pendant une heure entière.
C’était pour intriguer mes filles ; mais, ma foi,
Je crois, en vérité, que j’ai chanté pour moi.

Silvio.

Aussi, dans tout cela, cher duc, c’est vous que j’aime.
Il faudra bien pourtant redevenir moi-même.
Songez donc, mon ami, qu’il ne restera rien
Du héros de roman.

Laërte.

Du héros de roman.Mon Dieu ! Je le sais bien.
Un roman dans un lit, on n’en saurait que faire.
On réalise là tous ceux qu’on a rêvés.
Après la bagatelle il faut le nécessaire ;
Et j’espère pour vous, mon cher, que vous l’avez.
Très-ordinairement, dans ces sortes de choses,
Ceux qui parlent beaucoup savent prouver très-peu.
C’est ce qui montre en tout la sagesse de Dieu.
Tous ces galants musqués, fleuris comme des roses,
Qu’on voit soir et matin courir les rendez-vous,
S’assouplir comme un gant autour des jeunes filles,
Escalader les murs, et danser sur les grilles,
Savent au bout du doigt ce qui vous manque, à vous.
Vous avez dans le cœur, Silvio, ce qui leur manque.
Je me moque d’avoir pour gendre un saltimbanque,
Capable de passer par le trou d’une clef.
Si vous étiez comme eux, j’en serais désolé.
Mais la méthode existe : il faut songer à plaire.