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Le jour qu’en se lançant dans le cœur de l’Etna,
Du plat de sa sandale il souffleta la gloire,
Et la fit trébucher si bien qu’elle y tomba.
Que lui faisait le reste ? Il a prouvé sa force.
Les siècles maintenant peuvent se remplacer ;
Il a si bien gravé son chiffre sur l’écorce,
Que l’arbre peut changer de peau sans l’effacer.
Les parchemins sacrés pourriront dans les livres,
Les marbres tomberont comme des hommes ivres,
Et la langue d’un peuple avec lui s’éteindra ;
Mais le nom de cet homme est comme une momie,
Sous les baumes puissants pour toujours endormie,
Sur laquelle jamais l’herbe ne poussera.
— Je ne veux pas mourir. Regarde-moi, Nature.
Ce sont deux bras nerveux que j’agite dans l’air.
C’est dans tous tes néants que j’ai trempé l’armure
Qui me protégera de ton glaive de fer.
J’ai faim. — Je ne veux pas quitter l’hôtellerie.
Allons, qu’on se remue, et qu’on me rassasie,
Ou sinon, je me fais l’intendant de ma faim.
Prends-y garde, je pars. — N’importe le chemin. —
Je marcherai, — j’irai, — partout où l’âme humaine
Est en spectacle, et souffre. — Ah ! la haine ! la haine !
La seule passion qui survive à l’espoir !
Tu m’as déjà hanté, boiteuse au manteau noir.
Nous nous sommes connus dans la maison de chaume ;
Mais je ne croyais pas que ton pâle fantôme,
De tous ceux qui dans l’air voltigeaient avec toi,
Dût être le dernier qui restât près de moi.
— Eh bien ! baise-moi donc, triste et fidèle amie.
Tu vois, j’ai soulevé les voiles de ma vie. —
Nous partirons ensemble ; et toi qui me suivras,
Comme une sœur pieuse, aux plus lointains climats,