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Se lèvent, de terreur et d’espoir palpitantes.
Quelle agitation, quel bruit dans la cité !
Quel monstre remuant que cette humanité !
Sous ses dix mille toits, que de corps, que d’entrailles !
Que de sueurs sans but, que de sang, que de fiel !
Sais-tu pourquoi tu dors et pourquoi tu travailles,
Vieux monstre aux mille pieds, qui te crois éternel ?
Cet honnête cercueil a quelques pieds, je pense,
De plus que mon berceau. — Voilà leur différence.
Ah ! pourquoi mon esprit va-t-il toujours devant,
Lorsque mon corps agit ? Pourquoi dans ma poitrine
Ai-je un ver travailleur qui toujours creuse et mine,
Si bien que sous mes pieds tout manque en arrivant ?

Entre le chœur des soldats et du peuple[1].

LE CHŒUR.

On dit que Frank est mort. Quand donc ? comment s’appelle
Celui qui l’a tué ? Quelle était la querelle ?
On parle d’un combat. — Quand se sont-ils battus ?

FRANK, masqué.

À qui parlez-vous donc ? Il ne vous entend plus.

Il leur montre la bière.

LE CHŒUR, s’inclinant.

S’il est un meilleur monde au-dessus de nos têtes,
Ô Frank ! si du séjour des vents et des tempêtes
Ton âme sur ces monts plane et voltige encor ;
Si ces rideaux de pourpre et ces ardents nuages,
Que chasse dans l’éther le souffle des orages,

  1. Frank, durant cette scène, doit déguiser sa voix. Je prie ceux qui la trouveraient invraisemblable d’aller au bal de l’Opéra. Un de mes amis fit déguiser sa servante au carnaval et la plaça dans son salon, au milieu d’un bal où personne n’était masqué. On ne lui avait mis qu’un petit masque sans barbe qui ne cachait point la bouche ; et cependant elle dansa presque deux heures entières, sans être reconnue, avec des jeunes gens à qui elle avait apporté deux cents verres d’eau dans sa vie.