Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV


Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune,
Peignant sur son cou blanc sa chevelure brune !
Sous la tresse d’ébène, on dirait, à la voir,
Une jeune guerrière avec un casque noir !
Son voile déroulé plie et s’affaisse à terre.
Comme elle est belle et noble, et comme, avec mystère,
L’attente du plaisir et le moment venu
Font sous son collier d’or frissonner son sein nu !
Elle écoute. — Déjà, dressant mille fantômes,
La nuit comme un serpent se roule autour des dômes ;
Madrid, de ses mulets écoutant les grelots,
Sur son fleuve endormi promène ses falots.
— On croirait que, féconde en rumeurs étouffées,
La ville s’est changée en un palais de fées,
Et que tous ces granits dentelant les clochers
Sont aux cimes des toits des follets accrochés.
La señora pourtant, contre sa jalousie,
Collant son front rêveur à sa vitre noircie,
Tressaille chaque fois que l’écho d’un pilier
Répète derrière elle un pas dans l’escalier.
— Oh ! comme à cet instant bondit un cœur de femme !
Quand l’unique pensée où s’abîme son âme
Fuit et grandit sans cesse, et devant son désir
Recule comme une onde, impossible à saisir !
Alors, le souvenir excitant l’espérance,
L’attente d’être heureux devient une souffrance ;
Et l’œil ne sonde plus qu’un gouffre éblouissant,
Pareil à ceux qu’en songe Alighieri descend.
Silence ! — Voyez-vous, le long de cette rampe,