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Il écoute. — À travers les humides vitraux,
Il voit passer une ombre et luire des flambeaux :
« À cette heure ! dit-il. Est-ce encore une fête ? »
Puis, avec un murmure, il ajoute plus bas :
« M’aurait-elle trompé ? » Dans ce moment, un pas
Au penchant du coteau semble se faire entendre…
Il est sans armes, seul. — Viendrait-on le surprendre ?

Il hésite — il approche à pas silencieux.
Caché sous le portail, que couvre une ombre épaisse,
Tour à tour près du mur il se penche et se baisse…
Quel spectacle imprévu vient de frapper ses yeux !

Près de l’ardent foyer où le chêne pétille,
Le vieux Smolen, courbé, récite à haute voix
L’oraison qu’après lui répète sa famille.
Comme dans ce guerrier si terrible autrefois
La sainte paix de l’âme efface les années !
Il prie, — et cependant deux femmes inclinées
Pour parler au Seigneur se reposent sur lui.
Tïburce les connaît ; — l’une est âgée — et l’autre…
— Corrupteur, corrupteur, que viens-tu faire ici ?
Vois ! elle est à genoux, mais les chants de l’apôtre
Ne retentissent plus dans le fond de son cœur.
Pourquoi ces mouvements, ces yeux fixés à terre ?
Qui rendra maintenant cette fille à son père ?…
Qui sait si ce vieillard, certain de son honneur,
Tout en priant ainsi, n’a pas de sa parole
Détourné sa pensée, et s’il ne bénit pas
En ce moment, hélas ! l’enfant qui le console,
Et dont l’ange gardien fuit au bruit de tes pas ?

Mais non, non, ce vieillard ne saurait douter d’elle.