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Toutes deux lentement marchèrent quelques pas :

« Non ! cria Georgina, non, je ne le puis pas
Je ne puis pas le fuir ! N’est-ce pas qu’il te semble,
Bella, que je suis pâle, et que je dois souffrir ?
C’est le bruit de ces flots, de ce vent qui murmure,
C’est l’aspect de ces bois, c’est toute la nature
Qui me brise le cœur, et qui me fait mourir !…
Ah ! Bella, ma Bella, rien que par la pensée,
Tant souffrir ! quelle nuit terrible j’ai passée !
Terrible et douce, amie ! écoute, écoute-moi…

— Parle, ma Georgina, raconte-moi ta peine.

— Oui, tout à toi, Bella, car ma pauvre âme est pleine
Et qui me soutiendra, chère, si ce n’est toi ?
Sœur de mon âme, écoute. Ô mon unique amie,
C’est de bonheur, Bella, que je meurs ! c’est ma vie
Qui dans cet océan se perd comme un ruisseau.
Pour toi, ces eaux, ces bois, tout est muet, ma chère !
Viens, ma bouche et mon cœur t’en diront le mystère…
Rappelons-nous Hamlet, et sois mon Horatio. »


IV


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au bord d’une prairie, où la fraîche rosée

Incline au vent du soir la bruyère arrosée,
Le château de Smolen, vénérable manoir,
Découpe son portail sous un ciel triste et noir.
C’est au pied de ces murs que Tiburce s’arrête.