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S’achevant en silence ainsi qu’elles sont nées ! —
Et Tiburce pensa qu’il était pauvre aussi.

Ah ! Pauvreté, marâtre ! à qui donc est utile
Celui qui d’un sein maigre a bu ton lait stérile ?
À quoi ressemble l’homme, ignoré du destin,
Qui, reprenant le soir son sentier du matin,
Marchant à pas comptés dans sa vie inconnue,
S’endort quand sur son toit la nuit est descendue ?
Peut-être est-ce le sage : — un moins pesant fardeau
Courbe plus lentement son front jusqu’au tombeau.
Mais celui qu’un fatal et tout-puissant génie
Livre dans l’ombre épaisse à la pâle Insomnie,
Celui qui pour souffrir, ne se reposant pas,
Vit d’une double vie — oh ! qu’est-il ici-bas ?
Pareille à l’ange armé du saint glaive de flamme,
L’invincible Pensée a du seuil de son âme
Chassé le doux Sommeil, comme un hôte étranger.
Seule elle y règne — et n’est pas longue à la changer
En une solitude immense, et plus profonde
Que les déserts perdus sur les bornes du monde !

Mais silence ! écoutez ! — c’est le son du beffroi.
Tiburce s’est levé : — « L’heure de la prière !
Dit-il, soit : c’est mon heure ! ils prieront Dieu pour moi ! »
Il marche — il est parti…

Il marche — il est parti…Le jour et la lumière
Des sinistres projets sont mauvais confidents.
Là, les audacieux sont nommés imprudents.
La pensée, évitant l’œil vulgaire du monde,
S’enfuit au fond du cœur. — La nuit, la nuit profonde,