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Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main,
Cherchant la vie au fond de ce néant humain,
Levant de temps en temps sa tête appesantie,
Pour jeter un regard de colère et d’envie
Sur les palais de Rome, où, du pied de l’autel,
À ses rivaux de loin souriait Raphaël.
Là, c’était le Corrége, homme pauvre et modeste,
Travaillant pour son cœur, laissant à Dieu le reste ;
Le Giorgione, superbe, au jeune Titien
Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ;
Bartholomé, pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune cœur sur un autel de pierre,
Interrogé tout bas sur l’art par Raphaël,
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel…
Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être,
Mes lâches mains, pour vous auraient pu s’occuper ;
Mais aujourd’hui, pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ?
L’artiste est un marchand, et l’art est un métier.
Un pâle simulacre, une vile copie,
Naissent sous le soleil ardent de l’Italie…
Nos œuvres ont un an, nos gloires ont un jour ;
Tout est mort en Europe, — oui, tout, — jusqu’à l’amour.

Ah ! qui que vous soyez, vous qu’un fatal génie
Pousse à ce malheureux métier de poésie,
Rejetez loin de vous, chassez-moi hardiment
Toute sincérité ; gardez que l’on ne voie
Tomber de votre cœur quelques gouttes de sang ;
Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie
Coûte cher, que le sage est ami du repos,
Que les indifférents sont d’excellents bourreaux.

Heureux, trois fois heureux, l’homme dont la pensée