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Le quatrième jour Suzon vint à confesse ;
Et derrière un pilier, caché dans l’ombre épaisse,
Cassius de son amour surprit l’aveu fatal.
Il dit à Fortunio : « Ton conseil infernal
Donne déjà son fruit : sa porte d’elle-même
S’ouvrira maintenant, car je sais qu’elle m’aime.

— Frappe donc ! reprit l’autre.

— À ce soir.
— À ce soir. »

Au coucher du soleil Cassius revint le voir.
« Viens souper, lui dit-il ; il me reste une somme
De quarante louis dans ma poche. Un autre homme,
Ou plus sage ou plus fou que moi, la donnerait
À quelque mendiant ; allons au cabaret. »

C’était par une nuit magnifique et sereine,
Où les vents embaumés frémissaient dans la plaine ;
Et les grillons du soir, sous le pied du passant,
Chantaient dans la rosée aux feux du ver luisant ;
La lune, à son lever, sur la cime des arbres
Balançait mollement les ombres des saints marbres,
Et plongeait dans le fleuve aux flots étincelants
Des lourds dieux de granit les colosses tremblants.
Dans le coin enfumé d’une auberge malsaine
Les abbés sur la table avaient croisé les bras.
« Eh bien ! cria Cassius, ne chanterons-nous pas ? »
Et, vidant d’un seul trait une bouteille pleine :
« Allons, abbé, dit-il, un toast à ma Suzon ! »
Il se leva, lança son assiette au plafond,
Et se mit à chanter d’une voix triste et pure :

Si Lilla voulait me promettre
De m’ouvrir quand la nuit viendra,