Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une fenêtre ou deux pour y voir au dehors ;
Parce que la moitié d’un rayon de lumière
Échappé du soleil dans ton œil peut glisser,
Quand il n’est pas bouché par un grain de poussière,
Tu crois qu’avec ses lois le monde y va passer !
Ô mon ami ! le monde incessamment remue
Autour de nous, en nous, et nous n’en voyons rien.
C’est un spectre voilé qui nous crée et nous tue ;
C’est un bourreau masqué que notre ange gardien.
Sais-tu, lorsque ta main touche une jeune fille,
Ce qui se passe en elle, en toi ? Qu’en as-tu vu ?
Qui te fait tressaillir lorsque son œil pétille ?
S’il ne se passe rien, pourquoi tressailles-tu ?
Quand l’aigle, au bord des mers, aperçoit l’hirondelle
Et lui dit, en passant, d’un regard de ses yeux,
De le suivre, as-tu vu ce qui se passe en elle ?
S’il ne se passe rien, pourquoi donc le suit-elle ?
Eh quoi ! toi confesseur, toi prêtre, toi Romain,
Tu crois qu’on dit un mot, qu’on fait un geste en vain !
Un geste, malheureux ! tu ne sais pas peut-être
Que la religion n’est qu’un geste, et le prêtre
Qui, l’hostie à la main, lève le bras sur nous,
Un saint magnétiseur qu’on écoute à genoux !
Tu crois ce que tu vois ! toi, qui, dans la nuit sombre,
Portes l’étole blanche et vas t’asseoir dans l’ombre
Des confessionnaux, pour tenir dans ta main
La tête d’une enfant qui t’appelle son père,
Qui te dit des secrets qu’elle cache à sa mère,
Et de ce qui se fait à l’ombre du saint lieu
Ne peut en appeler à rien, pas même à Dieu !
Quand Christus renversa les idoles de Rome,
Il avait vu quel pas restait à faire encor,
Et qu’à qui veut donner l’homme pour maître à l’homme