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« De sa canne. Mon fils, tout va bien, Dieu merci,
Dit-il, et quel sujet vous fait venir ici ?
— Sujet, reprit Mardoche, excessivement sage,
Très-moral, un sujet très logique. Je gage
Ma barbe et mon bonnet, qu’on pourrait vous donner
Dix-sept éternités pour nous le deviner. »


XXIV


La matinée était belle ; les alouettes
Commençaient à chanter ; quelques lourdes charrettes
Soulevaient çà et là la poussière. C’était
Un de ces beaux matins un peu froids, comme il fait
En octobre. Le ciel secouait de sa robe
Les brouillards vaporeux sur le terrestre globe.
« Asseyez-vous, mon fils, dit le prêtre ; voilà
L’un des plus beaux instants du jour. — Pour ce vent-là,
Je le crois usurier, bon père, dit Mardoche,
Car il vous met la main malgré vous à la poche.


XXV


— L’un des plus beaux instants, mon fils, où les humains
Puissent à l’Éternel tendre leurs faibles mains ;
L’âme s’y sent ouverte, et la prière aisée.
— Oui ; mais nous avons là les pieds dans la rosée,
Bon père ; autant vaudrait prier en plus bas lieu.
— Les monts, dit le vieillard, sont plus proches de Dieu,
Ce sont ses vrais autels, et si le saint prophète
Moïse le put voir, ce fut au plus haute faîte.
— Hélas ! reprit Mardoche, un homme sur le haut
Du plus pointu des monts, serait-ce le Jung-Frau ;