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qui domine ; un jour, une heure qui a surpassé toutes les autres, ou, sinon, qui en a été comme le type, comme le modèle ineffaçable ; un moment est venu, au milieu de tout cela, où l’homme s’est écrié comme Théodore, dans Lope de Véga : « Fortune ! mets un clou d’or à ta roue. »

Ayant ainsi tout disposé, j’allumai un grand feu, et, m’asseyant sur mes talons, je commençai à m’enivrer d’un désespoir sans bornes. Je descendais jusqu’au fond de mon cœur, pour le sentir se tordre et se serrer. Cependant je murmurais dans ma tête une romance tyrolienne que ma maîtresse chantait sans cesse :

Altra volta gieri biele,
Blanch’e rossa com’un’fiore ;
Ma ora no. Non son più biele
Consumatis dal’amore.

J’écoutais l’écho de cette pauvre romance résonner dans le désert de mon cœur. Je disais : « Voilà le bonheur de l’homme ; voilà mon petit paradis ; voilà ma fée Mab : c’est une fille des rues. Ma maîtresse ne vaut pas mieux. Voilà ce qu’on trouve au fond du verre où on a bu le nectar des dieux ; voilà le cadavre de l’amour. »

La malheureuse, m’entendant chanter, se mit à chanter aussi. J’en devins pâle comme la mort ; car cette voix rauque et ignoble, sortant de cet être qui ressemblait à ma maîtresse, me paraissait comme un symbole