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bientôt, lorsque l’heure de rentrer arrivait, nous imaginâmes mille prétextes, nous prîmes mille précautions illusoires qui, au fond, n’en étaient point. Enfin je vivais, pour ainsi dire, chez elle, et nous faisions semblant de croire que personne ne s’en apercevait.

Je tins parole quelque temps, et pas un nuage ne troubla notre tête-à-tête. Ce furent d’heureux jours ; ce n’est pas de ceux-là qu’il faut parler.

On disait partout dans le pays que Brigitte vivait publiquement avec un libertin arrivé de Paris ; que son amant la maltraitait, que leur temps se passait à se quitter et à se reprendre, mais que tout cela finirait mal. Autant on avait donné de louanges à Brigitte pour sa conduite passée, autant on la blâmait maintenant. Il n’était rien dans cette conduite même, autrefois digne de tous les éloges, qu’on n’allât rechercher pour y trouver une mauvaise interprétation. Ses courses solitaires dans les montagnes, dont la charité était le but et qui n’avaient jamais fait naître un soupçon, devinrent tout à coup le sujet des quolibets et des railleries. On parlait d’elle comme d’une femme qui avait perdu tout respect humain, et qui devait s’attirer justement d’inévitables et affreux malheurs.

J’avais dit à Brigitte que mon avis était de laisser jaser, et je ne voulais pas paraître me soucier de ces propos ; mais la vérité est qu’ils me devenaient insupportables. Je sortais quelquefois exprès, et j’allais faire des visites dans les environs, pour tâcher d’entendre un mot positif que j’eusse pu regarder comme une insulte, afin d’en demander raison. J’écoutais avec attention tout ce qui se disait à voix basse dans un salon où je me trouvais ; mais je ne pouvais rien saisir ; pour me déchirer