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de voyage ; elle affectait de me confier légèrement des envies qui lui prenaient, disait-elle, de quitter le pays, et me rendaient plus mort que vif quand je les entendais. Si elle se livrait un instant à un mouvement naturel, elle se rejetait aussitôt dans une froideur désespérante. Je ne pus m’empêcher un jour de pleurer de douleur devant elle, de la manière dont elle me traitait. Je l’en vis pâlir malgré elle. Comme je sortais, elle me dit à la porte : « Je vais demain à Sainte-Luce (c’était un village des environs), et c’est trop loin pour aller à pied. Soyez ici à cheval, de bon matin, si vous n’avez rien à faire ; vous m’accompagnerez. » Je fus exact au rendez-vous, comme on peut penser. Je m’étais couché sur cette parole avec des transports de joie ; mais, en sortant de chez moi j’éprouvai au contraire une tristesse invincible. En me rendant le privilège que j’avais perdu de l’accompagner dans ses courses solitaires, elle avait cédé clairement à une fantaisie qui me parut cruelle si elle ne m’aimait pas. Elle savait que je souffrais : pourquoi abuser de mon courage si elle n’avait pas changé d’avis ? Cette réflexion, que je fis malgré moi, me rendit tout autre qu’à l’ordinaire. Lorsqu’elle monta à cheval, le cœur me battit quand je lui pris le pied ; je ne sais si c’était de désir ou de colère. « Si elle est touchée, me dis-je à moi-même, pourquoi tant de réserve ? Si elle n’est que coquette, pourquoi tant de liberté ? » Tels sont les hommes ; à mon premier mot, elle s’aperçut que je regardais de travers et que mon visage était changé. Je ne lui parlais pas et je pris l’autre côté de la route. Tant que nous fûmes dans la plaine, elle parut tranquille, et tournait seulement la tête de temps en