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elle m’avait sauvé du plus affreux malheur ; je la remerciais presque à chaque fois que j’allais chez elle, afin d’y pouvoir retourner le soir ou le lendemain. « Tous mes rêves de bonheur, lui disais-je, toutes mes espérances, toute mon ambition, sont renfermés dans ce petit coin de terre que vous habitez ; hors de l’air que vous respirez, il n’y a point de vie pour moi. »

Elle voyait ce que je souffrais, et ne pouvait s’empêcher de me plaindre. Mon courage lui faisait pitié, et il se répandait sur toutes ses paroles, sur ses gestes mêmes et sur son attitude, quand j’étais là, une sorte d’attendrissement. Elle sentait la lutte qui se faisait en moi ; mon obéissance flattait son orgueil, mais ma pâleur réveillait en elle son instinct de sœur de charité. Je la voyais parfois irritée, presque coquette ; elle me disait d’un air presque mutin : « Je n’y serai pas demain, ne venez pas tel jour. » Puis, comme je me retirais, triste et résigné, elle s’adoucissait tout à coup, elle ajoutait : « Je n’en sais rien, venez toujours » ; ou bien son adieu était plus familier, elle me suivait jusqu’à la grille d’un regard plus triste et plus doux. « N’en doutez pas, lui disais-je, c’est la Providence qui m’a mené à vous. Si je ne vous avais pas connue, peut-être, à l’heure qu’il est, serais-je retombé dans mes désordres. Dieu vous a envoyée comme un ange de lumière, pour me retirer de l’abîme. C’est une mission sainte qui vous est confiée ; qui sait, si je vous perdais, où pourrait me conduire le chagrin qui me dévorerait, l’expérience funeste que j’ai à mon âge, et le combat terrible de ma jeunesse avec mon ennui ? » Cette pensée, bien sincère en moi, était de la plus grande force sur une femme d’une dévotion exaltée, et d’une âme aussi pieuse qu’ardente. Ce fut peut-être pour