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trême le numéro du Provincial qui contenait ses premiers vers imprimés. Bien des fois depuis, sa pensée a fait gémir la presse ; mais la modeste feuille de Dijon, conservée par lui avec un soin religieux, a toujours occupé dans ses papiers une place d’honneur.

À la fin de l’année 1828, la guerre littéraire s’animait chaque jour davantage. Plus le camp des classiques criait à la barbarie, plus les romantiques redoublaient d’audace. De part et d’autre on s’accablait de railleries. — Heureux temps, où l’on se serait battu pour un sonnet, pour un vers brisé, pour un hémistiche ! Comme un jeune soldat qui voit ses amis courir au feu, Alfred se sentait pris du désir d’essayer ses forces. Un matin il alla réveiller M. Sainte-Beuve, et lui dit en riant : « Moi aussi, je fais des vers. » Et lui récita son élégie de la prêtresse de Diane et quelques-unes de ses ballades. M. Sainte-Beuve n’était pas homme à se tromper sur la valeur de ces essais, non plus que sur l’avenir réservé à l’auteur. Peu de jours après, il écrivait à un de ses amis : « Il y a parmi nous un enfant plein de génie. » Alfred se décida enfin à faire entendre au Cénacle ses morceaux de poésie. On applaudit beaucoup l’élégie ; mais le poème d’Agnès excita un véritable enthousiasme. L’énorme différence d’allure et de style qui distinguait ces deux ouvrages l’un de l’autre, ne pouvait échapper à l’attention d’un auditoire si intelligent. Cette souplesse de talent donna la plus haute opinion du nouveau com-