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intention, nos parents nous donnèrent pour nos étrennes le Don Quichotte de Cervantès. Ce charmant ouvrage porta le dernier coup à notre goût déréglé pour la chevalerie. Mieux que d’autres lecteurs plus raisonnables, nous avons pu juger que le livre de Cervantès est plein de sagesse, de bon sens et de juste mesure, qu’il purge l’esprit d’un fatras extravagant et ridicule, et qu’il atteint exactement sans le dépasser le but où vise l’auteur, qui est, comme Cervantès le dit lui-même, de signaler au mépris des hommes un genre de littérature faux et absurde. Ainsi finit, dans l’enfance d’Alfred de Musset, la période du merveilleux et de l’impossible, espèce de gourme que son imagination avait besoin de jeter, maladie sans danger pour lui, puisqu’il en sortit à l’âge où pour d’autres elle commence à peine, et dont il ne lui resta qu’un élément poétique et généreux, une certaine inclination à considérer la vie comme un roman, une curiosité juvénile et une sorte d’admiration pour l’imprévu, l’enchaînement des choses et les caprices du hasard. Ce penchant, un peu fataliste, se reconnaît aisément dans les nouvelles et les comédies, notamment chez les personnages auxquels l’auteur a prêté ses idées et ses sentiments.