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haut et des épaules à porter le monde, quoiqu’un peu voûtées par l’âge. Sa femme, moins grande que lui de quelques pouces, semblait encore une géante, et leurs fils, groupés autour d’eux, quand ils allaient à la messe, le dimanche, composaient une famille d’habitant de Brobdingnac. La première fois que nous entrâmes dans la ferme, — c’était le soir après le dîner, — un des fils Piédeleu tenait par les cornes une jeune vache espiègle qui voulait s’enfuir, et la poussait à reculons dans l’étable. Deux autres garçons, pour se délasser des travaux du jour, s’amusaient à mettre debout une longue pierre d’un poids énorme, qui leur servait de banc. Le père, les bras croisés, contemplait en silence une roue neuve qu’on venait de mettre à sa charrette, tandis que la mère et la plus jeune fille préparaient le souper. Rien n’est plus admirable aux yeux des enfants que la force physique. Cette réunion de colosses et l’intérieur de cette ferme se gravèrent si profondément dans la mémoire d’un écolier de huit ans, qu’on les retrouva plus tard fidèlement reproduits dans l’historiette de Margot.

Ces Piédeleu, tout bonnes gens qu’ils étaient, nous jouèrent un vilain tour. Ils avaient dressé au milieu de la cour une grande meule de foin. À quelques pieds au-dessus du sol, nous remarquâmes dans cette meule une ouverture étroite comme une lucarne, où parut la tête d’un chat. Nous nous élançâmes à la poursuite de l’animal, qui sortit de l’autre côté de la meule par