Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos manches, dès que le précepteur tournait la tête. Le soir, dans le salon de notre mère, nous changions en toutes sortes d’animaux les personnes qui n’avaient pas l’avantage de nous plaire, et quand on nous envoyait au lit, nous nous endormions du sommeil d’Abou-Hassan, pour mieux jouer, le lendemain matin, le conte du dormeur éveillé.

Ces amusements durèrent pendant toute l’année 1818. Nous demeurions alors rue Cassette, dans une maison qui appartenait à la baronne Gobert, veuve d’un général mort glorieusement sous l’empire. Son fils, resté seul vivant de huit enfants qu’elle avait eus, était d’une humeur taciturne et mélancolique. On nous l’envoya en nous priant de l’initier à nos féeries. Léon Gobert était un enfant original, avec une grosse tête et une voix d’homme. Je ne me souviens pas de l’avoir jamais vu rire ; il avait deux ans de plus que mon frère ; son âge était justement entre le mien et celui d’Alfred ; nous le considérâmes comme une excellente recrue pour nos jeux. Il y mordit d’abord avec peine, puis il y prit goût et gagna notre fièvre orientale. La baronne, toujours préoccupée de la santé de son fils, nous livra son salon dans lequel régna bientôt un désordre épouvantable. Au bout d’un mois, notre nouveau compagnon n’était plus le même enfant : son visage animé, son entrain, sa vivacité confondaient d’étonnement le médecin, qui le croyait atteint d’une affection incurable. Il est certain que Léon Gobert