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supériorité de son intelligence et la sûreté de son coup d’œil était sans borne, et il est certain qu’en effet elle se trompait rarement. Un soir, pendant l’hiver de 1815, au moment de me mettre au lit, je l’entendis, de la chambre des enfants dont la porte était ouverte, prononcer ces mots : « Cela ne peut pas durer. Les Bourbons ne font que des fautes. Nous reverrons l’empereur. »

Je m’élançai d’un bond jusqu’au lit de mon frère, qui dormait déjà ; je l’éveillai pour lui annoncer la nouvelle du retour prochain de Napoléon. Il me demanda comment je savais que l’empereur reviendrait, et quand je lui eus dit que notre mère venait d’en faire la prédiction, il n’en douta pas plus que moi. Nous attendîmes notre héros avec une impatience extrême. Il arriva enfin le 20 mars, et cet événement, dont le monde entier s’étonna, nous parut fort simple.

Le 21 mars, Sylvain nous conduisit au jardin des Tuileries. Une foule innombrable encombrait les abords du château. Les acclamations répétées à l’infini par des milliers de voix, se résumaient en un son continu ; on n’entendait que la dernière syllabe cur ! comme un immense murmure. Nous parvînmes à nous glisser dans la foule jusque sous le balcon du pavillon de l’Horloge. L’empereur y parut bientôt, entouré de ses grands officiers. Il portait l’uniforme des dragons à revers blancs, les bottes à l’écuyère, la tête découverte. Il se dandinait un peu en marchant,